par angèle casanova

Presque, par Franck Queyraud

vendredi 1er février 2013

Nous sommes presque uniquement constitués de ténèbres.
Entre ciel et terre / Jon Kalman Stefansson. – Gallimard, 2010.

Presque. Ce presque qui fait toute la différence. Ce presque qui s’élève face à notre conscience, presque de manière anodine. Doucement. Presque subrepticement, sauf si ce n’était pour notre bien. Ce notre bien qui est notre instinct. Qu’il faut toujours écouter, et si nous nous basons sur notre unique intelligence : errance… Quand elles sont nées les choses dont nous n’avions pas conscience, nous ne les percevions pas. Salutaire dédain. Ce Presque qui nous transforme en adultes et non plus en des embryons d’humains boiteux, claudicant, écopant du rien ou des enfants caractériels, gâtés, insupportables. Ce qui sommeille en nous. Ce qui se terre. Ce qui se cache. Ce qui ne se réveillera jamais. Ce qui aurait pu croître. Ce que nous oublierons facilement. « Ça fonctionne partout, tantôt sans arrêt, tantôt discontinu. Ça respire, ça chauffe, ça mange. Ça chie, ça baise. Quelle erreur d’avoir dit le ça. Partout ce sont des machines. » Pensantes ? Désirantes ? Couplées ? Il faut un peu de temps pour qu’elles surgissent ou pas, les choses en nous. Il faut parfois beaucoup de temps et on se pense ouragan, alors que souvent n’être que… lente… ombre… dans brouillard. Choses en nous, du temps, un peu, il faut… pour qu’elles surgissent comme du rhizome émerge un nouvel horizon. Un arbre, par exemple, qui découpera l’espace de la prairie en deux. Et pourtant, le votre, d’horizon, n’était plus visible. Du sol, une radicelle a point. B virgule, je me « tubérise ». Devient pomme de terre. L’image n’est guère jubilatoire – désolé, la poésie n’est pas toujours là où on l’attend – C, image guère jubilatoire mais joyeuse tout de même, gourmande si on aime les pommes de terre ; on ne choisit pas toujours entre les différentes racines qui s’offrent à nous, celle qui pourrait donner naissance à un arbre magnifique, forcément majestueux, prince des airs et dompteur des vents. Pomme de terre, j’aimerais devenir ginkgo. T’envelopper de mon feuillage tout le printemps et tout l’été, ombre portée, et dans ta main tendue aux mille et une racines, plus tard aux saisons dorée puis blanche, laisser tomber en pluie, les mille (et un) écus de ma chevelure blonde… Je rêve de rhizomes aériens. Je suis un autre bricoleur. Je rêve… Presque… presque…

Silence (alias Franck Queyraud)

En italique, première phrase de L’Anti-Œdipe de Gilles Deleuze et Félix Guattari, paru en l’an 72 ou 73 vers Minuit…

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