par angèle casanova

La marchande de nuit, par Marianne Desroziers

vendredi 1er août 2014

Il était une fois une marchande de nuit. Elle était devenue marchande de nuit car elle n’avait rien trouvé d’autre à vendre, même pas des allumettes. La marchande de nuit avait hérité de sa mère pourtant miséreuse d’un trésor inestimable : des morceaux de nuit. Certains étaient en parfait état et elle pouvait les vendre au prix fort, d’autres n’étaient que lambeaux ou poussières de nuit et elle les cédait contre un bouquet de violettes ou une plume de paon.

Elle vendait ses bouts de nuit à la sauvette, dans les ruelles sales et mal éclairées d’une capitale javellisée et illuminée de néons aux couleurs criardes. Certaines âmes nostalgiques regrettaient l’époque où les nuits avaient encore un sens, où elles n’étaient pas que l’envers des jours. Ceux-là se saignaient aux quatre veines pour se payer un peu de frissons, de poésie et d’errance nocturne auprès de leur petite dealeuse de nuits d’antan.

Entre l’aube et le crépuscule, la petite marchande de nuit s’occupait comme elle le pouvait, luttant contre l’ennui et la vacuité de sa vie. Elle se promenait dans des terrains vagues, s’émerveillait d’une libellule traversant une route nationale, fouillait les poubelles des supermarchés à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent ou dans le coeur. Elle accumulait comme des trésors pattes, ailes, antennes ou abdomens d’insectes et os provenant de squelettes de petits animaux. Une tête de musaraigne par ci, une coquille d’escargot par là suffisaient à son bonheur. Elle assemblait ses trésors, inventait des créatures et leur insufflait la vie. La marchande de nuit défiait la mort et se prenait pour Dieu.

Un soir, les clients de la marchande de nuit l’attendirent en vain jusqu’au matin. A l’aurore, il ne restait plus rien d’elle qu’un vieux sac rempli de morceaux de nuit. Elle avait été dévorée par une de ses créatures hybrides. C’en était fini de la marchande de nuit.

Marianne Desroziers


Pour ce vase communicant estival, nous sommes parties sur le thème du conte. Le texte ci-dessus est inspiré par une sculpture de l’artiste Sabrina Gruss (blog : http://www.sabrinagruss.com/), "La marchande de nuit", dont j’ai découvert et beaucoup apprécié le travail à la galerie Eqart à Marciac.

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