par angèle casanova

mucus

jeudi 19 décembre 2013

Je suis seule. En mon château. En haut d’un pic. Au bord d’une falaise. Au-dessus de flots furieux qui m’assourdissent. Je suis seule. En ce château. Au fond des oubliettes. Mon corps bleui par l’hypothermie. Tremblant. Chétif. A peine un soupçon dans l’ombre. Là, pourtant. Mon corps bleui. Souillé. Couvert de mucus. De glaires. De sang.

Je viens de naître. Et je crie. Sans fin. Je crie. La main tendue. Vers ailleurs. Un lieu qui n’existe plus. Vers elle. Je crie. Je l’implore. Mes lèvres appellent la succion. La têtée. Toujours refusée. Hors de portée. Alors je crie. Le cou tendu. Les nerfs saillants. Le visage bleu. Je crie. Au fond de cette geôle. Humide. Noire. Désespérante. Je crie. Les mains crispées sur le sol. Le griffant. Le corps affaissé sur le côté. Le buste droit. Les yeux profonds comme des puits. Et noirs. Je crie. Où est-elle. Et quand suis-je née. Là. Il y a une éternité. Le temps a disparu. Mon corps de femme s’oblitère. A chaque battement de mon cœur, le nourrisson ressurgit. Mes seins palpitent. S’atrophient. Deviennent granules roses. Et puis reviennent. Mon cœur bat. Mon existence oscille. Entre deux espaces temps. Et plus mon cœur bat. Plus je crie. Plus j’appelle. Sans but. Je sais bien. Qu’hier. Maintenant. Elle ne répondra pas. Elle ne répondra plus. Rien n’y fait. Je n’aurai jamais le lait. Celui. Qui me satisfera. Me permettra. De dormir. Enfin. Repue. Sur son sein.

De temps en temps, j’entends des rires. Des litanies amusantes. Des cailloux lancés. Depuis la grève. Je l’entends lui. Qui m’appelle. Sa voix gaie. Douce. Aimante. Où es-tu. Reviens. C’est pas grave que t’es triste. Je l’entends. J’arrête de crier un instant. L’oreille tendue. Ma main hésite. Tente de soutenir mon corps. De l’aider à se relever. Mais rien n’y fait. Je m’écroule. Et je crie. Dos au mur. Mes mains parcourent mon corps souffrant. Le reconnaissent. La reconnaissent en lui. Son visage. Ses mains. Ses fesses. Pas les miens. Les siens. Rien de ce corps n’est à moi. Alors je palpite. Je retrouve ma vraie silhouette. Le bébé. Derrière. Je refuse ce corps. Et je palpite. Pour oublier. Qu’elle avait mon visage. Mes mains. Mes fesses. Et que ce visage. Ces mains. Ces fesses. Je les ai vus morts. Comme je le suis. Au fond. Depuis sept ans. Depuis que je me suis regardée dans cette glace. Et qu’à la place de mes traits pleins de femme. J’ai vu le visage figé. De ma mère. Morte.

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