par angèle casanova

antigone, par Angèle Casanova

lundi 28 octobre 2013

Mon père, c’est un roc. Grand, beau, sûr de lui. Il s’occupe de notre ville et ce travail, il le fait bien. Et puis la peste arrive. Sans crier gare. Un jour, tout le monde vaque à ses occupations. Le lendemain, les rues sont désertes, la ville abandonnée. Des cris résonnent ponctuellement derrière les portes closes des maisons. Nous sommes terrés au palais. Mère veille sur nous jalousement. Elle nous apporte elle-même nos repas, ne permet à personne de nous approcher. Nous avons peur. Père vient nous voir de temps en temps, toujours plus préoccupé. Il n’arrive pas à comprendre ce qui nous arrive. Les dieux sont contre nous. Il répète ces mots sans cesse, en secouant la tête d’un air las. Il a beaucoup maigri. L’homme que je connaissais a disparu. La vieillesse l’a surpris aussi vite que la peste est tombée sur la ville. Je ne sais quoi faire. Je le serre contre moi. Je lui dis que je l’aime. Il me regarde à peine. Il garde les yeux rivés sur la fenêtre. Il attend mon oncle Créon, parti voir la pythie. Que nous dira-t-elle. L’angoisse creuse ses joues. Sa barbe mal taillée m’intrigue. Je la gratouille doucement en lui disant des mots d’amour. Ma petite. Qu’il me dit. Et puis il m’embrasse. Et me dit à demain.

Mais point de demain. Car demain c’est aujourd’hui. Et aujourd’hui c’est la fin du monde. Créon est revenu. Il a traversé le palais en courant. Il est allé voir mes parents. Les gens murmurent sur son passage, et le murmure devient clameur, et la clameur devient panique. Lorsque Créon rejoint mes parents, tout le palais est en effervescence. Je vois mon oncle entrer dans la pièce où mes parents l’attendent. Bien droits. Dignes. Les mains tremblantes. Personne ne me dit rien. Mais je la sens venir. La fin. Je le sais. Cela ne se résumera pas à une révélation terrible. Non. Ce sera la fin de tout. Je regarde mes frères et sœurs. Ils ont l’air d’avoir peur eux aussi. Mais je ne pense pas qu’ils sachent. Comme moi je sais. Je me lève. Je m’appuie contre le mur de pierre. Frais. Apaisant. Je ferme les yeux. Et j’attends. Que notre destinée se réalise. Que tout s’achève. Nous verrons bien. Ce qu’il en sortira. Serons-nous anéantis. Survivrons-nous. Comment le savoir. Je me concentre sur un point précis, là, sous mes paupières. Je le fixe longuement, jusqu’à tout oublier. Le temps s’arrête. Tout disparaît. Les pleurs de ma sœur. Les murmures. Les clameurs. L’agitation.

Et puis mon père crie. Sans fin. Un cri déchirant. Terrible. Définitif. J’ouvre les yeux. Je respire doucement. La terreur m’envahit. Je regarde mes frères et sœurs. Ils sont figés. Cloués au sol. Leurs pleurs étouffés dans leur gorge, leurs joues sillonnées de larmes. Alors, je me dresse. Je les regarde une dernière fois. Et je vais voir. Ce qu’il en est. De nous.

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