par angèle casanova

itinéraire bordelais (1994-2000)

mercredi 27 juin 2012

DEBUT

1994

Une chambre en rez-de-chaussée au lycée Montaigne. Promiscuité avec ma coturne. Décoration avant-gardiste pour masquer les murs lépreux. Chambre toujours ouverte aux quatre vents. Je passe par la fenêtre en enjambant le balcon. Je me lève tôt et révise mon latin, assise en tailleur dans le couloir mal éclairé.

1995

Khâgneuse, chambre individuelle à l’étage. Vue sur la grande cour et son agitation. Un bordel infâme, failli me faire virer de l’internat. Discussions interminables avec le surveillant général. Marre de marre, dessiné des barreaux à la fenêtre avec de la bombe de Noël. Et à l’approche de la fin, suspendu au plafond mes robes psychédéliques. Je pars sans regret.

1996

Rue du Château d’Eau. Mon premier appartement. Jouxtant l’îlot de Mériadeck. Les derniers vestiges de l’ancien quartier. Celui des putes, des gens du peuple. Cela ne me touche pas, je n’y pense jamais, je file en rollers sur la dalle.

Parfois, mes chiottes sont bouchés, je descends en courant les deux étages, et je vais aux toilettes publiques du centre commercial.

Je dors à même le sol, sur un vieux matelas qui traînait là quand j’ai pris l’appartement. Rien à faire. Le matin, alors que les persiennes éclairent mon salon, je regarde le plafond, et suis des yeux la fissure qui s’y appesantis de plus en plus. Quand va-t-il me tomber dessus ? Peut-être devrais-je stocker moins de trucs au grenier ?

Je n’ai pas de sonnette. Alors, je bricole une boîte de conserve accrochée à un fil fixé au rez-de-chaussée de l’immeuble. Le fil s’envole, gêne les voisins.

Ma porte, encore et toujours ouverte, se situe au fond du couloir de l’appartement du dessous. Pas moyen d’avoir la moindre intimité. Folklo, le voisin, aussi. J’ouvre la porte de mon appartement. Une odeur de bois, de vieux, d’humidité. Je prends mon élan, et j’escalade les marches. Brutes, polies, usées par les pas de générations de locataires. Je tourne la tête à gauche, et regarde par la petite lucarne qui donne sur les toits de Bordeaux. Ce rebord de fenêtre m’a toujours fascinée. Un cache-pot ovale, une petite plante grasse.

Arrivée en haut de l’escalier, je déplie mon corps. Le plancher, les murs bleus et jaunes, les grandes fenêtres. Mes meubles. Le foutoir. Je suis chez moi. Je contourne la cage d’escalier, et monte au grenier. Un escalier encore plus raide. Je passe sous le rideau de mes robes encore une fois suspendues, mais cette fois au-dessus des marches. Le grenier, sombre, est éclairé par de petites lucarnes à l’arrière de la maison. Je regarde le sol avec inquiétude, et me prends à rêver. Nettoyage, peinture, chambre à l’étage.

1997

Impasse Laurendon. Désir d’indépendance. Payer seule le loyer. Ne plus rien demander à mon père. Donc un studio. Impersonnel, pas grave. Au rez-de-chaussée dans une impasse. Je n’y suis presque jamais. Je finis par le quitter.

1998

Squatte chez mon amoureux dans une résidence étudiante près de la barrière de Talence. 2 ans dans 18 m2. Manger sur une table basse en palettes, assis sur le lit, l’un contre l’autre.

1999

Rue des Palanques. Une ruelle face à la cathédrale. Etroite et pourtant lumineuse. La pierre ravalée des maisons 18e boit la lumière. Le pavé disjoint blesse les pieds, pour peu qu’on porte de fragiles ballerines. L’odeur de merde de chien imprègne la rue. Très peu de voitures y passent, et tout le quartier vient devant chez nous faire déféquer ses bestioles. Passant dans ma rue, je baigne dans des effluves de merde en décomposition, de détergent bas de gamme et d’humidité. Il paraît qu’un ruisseau circule en contrebas. Sais pas, mais en tout cas, on est envahis par les moustiques.

Un jour, je m’apprête à ouvrir ma porte, clé tendue, et un mec discret arrive par derrière et vient fourrager sous ma jupe. Je hurle et me retourne, en brandissant ma clé. Il s’en va, sans se presser, en riant et en me regardant. Le crâne et les sourcils rasés, l’air clairement démoniaque. Je lui hurle des insanités face à la cathédrale. Il est midi, c’est dimanche, les dévots sortent de la messe. Ils détournent la tête.

Nous logeons au dernier étage, au bord du ciel. Lorsque je me penche à la fenêtre, je vois la tour de la cathédrale. Notre vie est rythmée par les cris des enfants de l’école toute proche et par les cloches.

Je passe des heures à m’échiner sur mon mémoire de maîtrise. Le Je et le Tu, étude comparative de Husserl, Lévinas et Buber. Je ne me souviens pas de son titre exact, je l’ai égaré, il n’existe sans doute plus que dans mes souvenirs.

Et puis je lis, blottie dans notre lit, au fond de notre chambre, vaguement éclairée par une fenêtre donnant sur un puits de jour étroit. Chambre blanche, murs irréguliers. Impression crétoise.

2000

Massif Central. La camionnette avance au ralenti dans la brume. Je me retourne. Des cartons jusqu’au plafond. Toute notre vie.

FIN

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