par angèle casanova

RER B, station Port-Royal

dimanche 1er juillet 2012

Encombrée de moi-même, je marche à pas inégaux, prenant bien garde de maintenir mes pieds dans l’axe. Au moindre signe de défaillance, ils rentrent en dedans, comme les fleurs de volubilis se rétractent au coucher du soleil. Se concentrer, maintenir le cap, ne pas dévier lentement vers la droite, lever la tête, bien droite, et avancer. Surtout, l’air de rien, éviter de marcher au rythme de la musique. Les basses enflent, enflent, impressionnent de plus en plus mon cœur. Mes pieds se mettent au diapason, malgré eux. Je me sens mal à l’aise, avec ma jupe à fleurs. Quelle idée, de venir sur Paris ainsi accoutrée, le jour de la Gay Pride, et de tomber en plein défilé, ahurie, sur le chemin de la bibliothèque de Port-Royal.

Mon sac chargé de livres, je pousse la porte battante de la station de RER, et me retourne pour vérifier qu’en la lâchant, je ne blesserai personne… Un vrai gag de film burlesque, ce truc. J’ai failli me la prendre, une fois, et depuis, j’ai toujours une légère appréhension à l’aborder. Je descends rapidement l’escalier. Mécanique bien huilée de mes pieds qui effleurent à peine les marches.

Arrivée sur le quai, je me faufile jusqu’à un siège vacant. Je m’assois, pose mon sac sur mes genoux. Et puis je lève les yeux. Mon livre, déjà ouvert entre mes mains, se referme lentement, comme de lui-même.

Je suis assise au centre de la station. Le quai face à moi est baigné de lumière. Pure, éblouissante. Au-dessus du quai, la rue et, encore plus haut, un immeuble vitré, s’élevant aussi loin que peut porter ma vue, gênée par le préau qui surplombe le quai où j’attends. Livre en main, j’ouvre grand les yeux, étonnée. Mon oreille gauche entend un rythme de tambour brésilien jouant quelque samba, tandis que mon oreille droite frémit au son répétitif et nasillard d’une chanson de Lady Gaga. Les sons se télescopent, tournoient dans cette portion de station découverte, longue de cent mètres environ. Je tourne la tête à droite, à gauche, souriant d’abord, puis riant, exaltée, suivant ces trajectoires énigmatiques. Le vent se lève, la lumière m’éblouit, des bruits de fête foraine me parviennent. Les gens sont gais, un homme chargé de famille esquisse un pas de danse sur le quai d’en face. Un sonar retentit. A ma droite, un jeune enfant, se dandinant dans sa poussette, agite son ballon Hello Kitty. Je reviens à moi.

Ma jambe droite tremble frénétiquement, comme à son habitude. Joie. Excitation contenue. Envie de courir au soleil, d’étirer ce grand corps empoté.

< >

Forum

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.