par angèle casanova

voyageuse

samedi 19 octobre 2013

Penchée au-dessus des braises, elle prend un piquet métallique et déplace par à-coups les patates enrobées de papier alu. Les braises crépitent, rougeoient irrégulièrement. Elle n’en a cure et continue sa besogne. Elle s’accroupit, attrape une fourchette dans un plat déposé à même le sol et retourne la viande qui cuit sur une grille. Alors seulement, elle pose ses ustensiles, se relève et, les mains sur les hanches, s’étire en regardant le ciel. Se figeant un instant, elle se prend à contempler les étoiles.

Tout d’un coup, les enfants déboulent en riant. Ils se courent après. Attrape-moi si tu peux. C’est toi le loup. Dans un sens, puis dans l’autre, jusqu’au tournis. Quand ils sont bien fatigués, rouges comme des pommes mûres, ils s’assoient près d’elle et présentent leur visage au feu. Leurs souffles saccadés dansent à la lueur imprécise des braises. Ils parlent sans discontinuer, entre deux respirations rauques. Deux oisillons hystériques, qui n’en finissent plus de se tordre les bras, de se tirailler les cheveux joyeusement. Le repas se fait attendre. La tension monte.

La mère, stoïque, leur tourne le dos. Ils en profitent, font pleuvoir les coups bas, les blagues tordues. Elle retourne la viande, déplace un peu les patates. L’heure approche. Elle prépare des assiettes en plastique et attend le bon moment, assise en tailleur, bien droite. Lorsque le steak est cuit, elle le transfère rapidement dans une assiette. Elle le coupe, consciencieusement, en trois morceaux. Deux grands, un petit. Puis, elle dépose chaque morceau dans une assiette différente. Pour elle, le petit. Pour eux, les gros. L’arithmétique des parents n’a rien d’égalitaire. Chétive, elle l’est déjà. Eux, ils doivent grandir. Prendre des forces. S’ils ne mangent pas assez, elle pourrait être dénoncée et les perdre. Elle ne peut se permettre la moindre négligence. Avoir faim, mais pas les perdre. Les patates suffiront à la rassasier. Même sans beurre. Elle se tourne vers le ciel. Les étoiles seront le beurre sur ses patates. Elle ferme les yeux. Elle entend les pépiements de ses enfants qui dévorent la viande à belles dents. Ses épreuves lui semblent désormais bien dérisoires.

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