par angèle casanova

main baladeuse

dimanche 23 septembre 2012

Matin malade devant les enquêtes impossibles. Couette au menton, je ris des élucubrations grand-guignolesques d’un Bellemare. Souris vaguement de l’érudition d’un criminel laissant derrière lui, farce et attrapes, des empreintes palmaires de gorille. Poe Bellemare dansent la gigue allègrement dans ma tête embrumée.

Révisions dissipées de mes connaissances en criminalistique. Les hommes sont trahis par leurs mains. Leurs dessins, leurs nœuds, leurs fantaisies. Trahi par sa main. Main baladeuse. Main courante. Famille Addams. Cliquetis des doigts qui se réfugient sous un meuble à la moindre alerte. Et si ma main gauche se barrait ? Et si un taliban me la coupait ? J’aurais volé un truc un bonbec un cœur qui sait.

Bref au pilori ma main. Privée de corps, elle le cherche. Cliquette paniquée de-ci de-là. Peut-être en chemin trouve-t-elle de quoi écrire. Peut-être alors appliquée boucles arrondies me laisse-t-elle une bouteille à la mer bien troussée très peu allusive, textuellement : help mon corps ma tête soeur main droite je suis là…

Nerveuse, elle cherche entre les oreilles du chat œil plissé ronronnant, sur internet twitter facebook gmail bouts de ficelles, dans la boîte aux lettres, sous le paillasson, tourne en rond quelques temps puis s’agrippe à la façade de la maison, se fait toute mince, se faufile par une fenêtre entrebâillée, traverse sur les chapeaux de roues le couloir parqueté, crochète la couette, le doigt tel un piolet, puis, amples moulinets, vient toucher le bout de mon nez.

Gratte que je te gratte. J’éternue. Je sors mon moignon sectionné net. Ma main s’ouvre et secoue sa paume de joie, saute en l’air _ sérieusement l’air d’applaudir en solo_ et regagne sa place. Pas de cicatrice, nul souvenir de blessure. Je suis dans mon lit devant les enquêtes impossibles.

Je regarde pensivement ma bonne vieille main gauche. La musclée l’intelligente celle qui devine les modus operandi. La droite la pauvre, toujours à la traîne. Une âme de suiveuse. Mais la gauche. Finesse petitesse nervosité. Ecrit plus vite que son ombre. Je l’ouvre en grand, regard rasant la paume. Blanchâtre le long des ridules, rose porcine alentours.

Une main qui n’a jamais peiné dans l’eau à la chaleur. Qui n’a jamais répété à longueur de journée des gestes précis connus dans leurs moindres déliés. Qui n’a jamais travaillé, honte de ma famille paysanne ouvrière. Elle a fait « de belles études » qu’ils disent. Préhension, voilà sa spécialité. Livre. Stylo. Ordinateur. Mais cela compte-t-il vraiment ?

Si. Des choses elle en a fait cette main. Elle a aimé. Attrapé tremblante le bébé juste né au creux de mon ventre pour le serrer contre ma poitrine, lui montrer mon sein, hasarder une caresse égarée sur son crâne souillé. Elle a poussé le cul du bébé pour qu’il se lance à pied à la conquête d’un bout de salon. Elle en a fait des choses finalement. De belles.

Nez sous la couette, je serre le poing, le dresse. Il se découpe sur l’écran où défilent les images d’archives criminelles. Ca cogite là dedans, malgré la fatigue le mal au cœur.

réconciliation
ma main ne travaille pas, mais elle frémit
de révolte
d’envie d’en découdre
toujours
encore
jusqu’à la fin

L’Internationale au bord des lèvres je me tourne sur le flanc, cale ma tête sur un coussin de velours et m’endors, mains ailes repliées contre genoux soigneusement remontés.

la révolte, c’est pour demain

< >

Forum

Qui êtes-vous ?
Votre message
  • Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.