par angèle casanova

être là

vendredi 14 mars 2008

De quelle manière les objets sont-ils là ?

Réminiscence de mes cours de philo. Etre là pour un objet, c’est être montré par une quelconque conscience qui le situe dans l’espace environnant. C’est être relatif, et non absolu. Révision. Noumène et phénomène. Désolée, mes amis. Je m’égare.

De quelle manière les objets sont-ils là quand la conscience qui les a vus, saisis, choisis et réunis n’est plus ?

Quid de la collection, quand le collectionneur n’est plus ?

Comme à mon habitude, je me pose beaucoup de questions.

Sur la vie. Sur la mort.

Sur le sens qu’il y a à amasser des objets, du plus insignifiant au plus éblouissant, avec acharnement, tout au long d’une vie. A les protéger comme si nous n’étions qu’eux, à nous lester de leur présence encombrante… Qui n’a jamais vécu l’expérience jubilatoire du don de vêtements usagés à un quelconque secours populaire qui, outre l’auto-satisfaction qu’il y a à être généreux, nous fait pour un moment plus légers, insouciants ? Comme si nos biens ne nous faisaient pas du bien. Comme si notre attachement nous aliénait.

Je me pose beaucoup de questions, donc. Sur le sens qu’il y a à amasser des objets, qui seront toujours là, alors que nous n’y serons précisément plus. Pour qui seront-ils là ? Et d’ailleurs, seront-ils vraiment encore là, ou bien seront-ils un peu partis avec nous ? Si être là pour un objet, c’est être là pour une conscience précise, quand cette conscience n’est plus, cet objet est-il toujours là ?

Ma mère est morte il y a plus d’un an, et les camions entiers d’objets que, sa vie durant, elle avait amassés, sont restés derrière elle. Ils me déroutent. Comment peuvent-ils être encore là ? Ma mère est morte. Elle aurait du les emporter avec elle dans sa tombe. Nous aurions du creuser une trou immense pour l’enterrer dans un caveau de pharaonne, qui aurait abrité ses tableaux, ses meubles, ses bibelots, son linge précieux. Ses liqueurs artisanales, ses livres de Rika Zaraï et ses fleurs séchées.

Mais non. Ses objets persistent dans leur présence. Dorénavant, certains ont déjà élu domicile dans ma maison. D’autres attendent leur tour, sagement, dans le bric-à-brac à demi déménagé qu’est devenu son appartement.

L’âme de ma mère est-elle encore incrustée dans ces objets ?

Aujourd’hui, comme à mon habitude, je me pose beaucoup de questions. Il faut dire que je ne suis pas aidée à la simplicité. Je sors du cinéma, où j’ai vu L’heure d’été, d’Olivier Assayas, où il est précisément question du deuil et du poids des objets, du patrimoine. Mon expérience récente de la mort m’a fait vivre ce film de manière particulièrement intense.

Un constat : les vivants sont les gardiens des objets des morts. Mais quand meurt celui qui gardait les objets d’une personne que plus personne de vivant n’a connu, qu’en est-il ? J’ai lu aujourd’hui que le dernier poilu encore vivant, sur quelques huit millions cinq, est décédé ces jours-ci. Quelque chose n’en finit pas de finir. Il en est ainsi.

Je vivrai, ma sœur vivra, les objets de notre mère vivront, elle vivra. Il en est ainsi.

Ceux qui se taisent n’ont pas de chance. Ma mère peignait. Elle ne se taisait pas, et ses œuvres restent.

Et bien, qu’il en soit ainsi...

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