par angèle casanova

café amer

lundi 4 février 2013

Je ne lui avais jamais prêté la moindre attention. Sa présence se diluait à l’angle droit de mon champ de vision. L’un comme l’autre, toujours à la même place. Moi, au bord de la première rangée de tables, dans la salle du fond. Lui, accoudé au comptoir, dos au mur, regard vague vers les tables. Ou face au zinc, les bras gesticulants, en plein discussion avec le cafetier. Petit, nerveux, cheveux ras, grisonnants. Un bonnet parfois, ajusté, noir. Le verbe haut, toujours. Mais dans le brouhaha du comptoir, ce verbe-là se perd.

Ce jour-là, pourtant, je le discerne. Pour la première fois. Je le discerne et je l’écoute. Pour la première fois. Je lis, paisiblement, à ma table, la main gauche arrimée à ma tasse de café matinale. Je lis, donc. Et soudain, des mots secs comme des coups de trique me heurtent violemment. La salope. Elle les a bien enculés. Bien profond. Elle sort de taule, là. 6 ans. C’est long, surtout au Mexique. Et ben la salope, elle en sort, on l’a vue au journal, elle se marre. On se demande si elle a passé tout ce temps en taule, ou bien. Et puis, maintenant, sûr que c’est la prochaine à se faire piner par Strauss-Kahn. Non mais. La prison au Mexique, y paraît qu’c’est pas gai. Et elle, elle se marre. C’est comme la Bétancourt. On la voit le jour de sa libération, à la sortie de l’avion. Elle sourit, on dirait une star de cinoche. Sûr qu’elle s’est fait piner dans la jungle, elle aussi. Intervention du cafetier. Non, c’est sa copine, elle s’est fait faire un gamin. Bon. C’est vraiment rien que des salopes. Quoi.

Au fond de la salle, je les regarde. Bouche bée. Livre en l’air. Je ne respire plus. Et puis je me mets en colère. Rouge. Eclair. Je m’exclame très haut, en posant mon livre. Et bien, aujourd’hui, au comptoir, ça manque singulièrement de finesse. Rien de plus. Euphémisme. Colère rentrée. Pas la peine de s’époumoner.

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