terre natale, par Angèle Casanova
lundi 4 août 2014
Il fait noir. Des bruits étouffés lui parviennent à travers les parois capitonnées. Klaxons, éclats de voix, bruits de circulation. Ils seront bientôt à destination.
Bercé par les cahots du camion, il laisse ses pensées errer, se perdre dans les méandres enlisés de sa mémoire. Ses joues tressautent. Ses dents claquent dans le vide. Au rythme des vibrations du moteur.
Il tente d’ouvrir les yeux. Rien à faire. Ses paupières résistent. Lui rappellent quelle heure il est. Il soupire. Hausse imperceptiblement les épaules. Et se rendort.
Il rêve de sa terre natale. Son enfance. Sa destinée. La liberté qu’elle lui donne. Et pourtant. Il en pleurerait presque. S’il pouvait encore le faire.
A demi endormi, machinalement, il étire ses bras le long de ses flancs engourdis. Tend ses doigts. Caresse la soie souillée du capiton. Et saisit une poignée de terre qu’il fait lentement rouler dans ses mains. Au fur et à mesure, sa peau devient brûlante. Alors il imagine ce qui se passerait. Si par miracle. Il parvenait à induire un frottement suffisant. Entre le silex que devient son corps la nuit et ces quelques sédiments. Pour déclencher un feu. Il se demande quelle énergie. Quelle quantité de braises serait nécessaire. Pour le transformer en torche humaine. Mettre fin à cette vie. Qu’il traverse. Dans une mer de capitons. Endormi. Attendant. Que la nuit tombe. Que sa faim monte.
Il est encore suspendu à cette question quand le camion s’arrête.
Ses hommes ouvrent le portail de son nouveau logis. Y font entrer le véhicule. Et s’éloignent. Ils ne reviendront pas le chercher avant la tombée de la nuit. D’ici là, au bistrot, entre deux bières, ils se raconteront sur tous les tons la bonne blague que c’est. De faire comme si. Ils étaient des déménageurs. Et de sillonner l’Europe en tous sens. Dans ce camion. Arborant. Cette banderole. Provocatrice. Cocasse. Déroutante.
Déménagements Terreaux.