par angèle casanova

des démons dedans

samedi 5 octobre 2013

Elle entre dans le bar. La nuit tombe. Elle dit bonsoir, hésite, reste debout devant la porte. Accoudé au comptoir, il boit une 16. A grandes rasades. Bouche ouverte. Pas goulu. Pas soiffard. Il laisse la bière l’envahir. Son visage est neutre. Impassible. Elle le regarde. Ses bras. Ses mains. Sa bouche qui absorbe le liquide. Son regard fixe. Elle le regarde. Elle s’approche. Elle s’assoit à côté de lui. Elle lui parle. Il ne répond pas. Il boit. Encore. Longtemps. Au bout d’un moment, il se lève. Elle le suit. Elle continue de lui parler en marchant. Elle le suit jusqu’à sa voiture. Il ouvre la porte, s’écarte. Sans un mot. Sans un signe dans sa direction. Elle monte et s’allonge sur la banquette arrière.

***

Il baise comme il boit. Longtemps. Sans émotions. Le fluide passe d’un corps à l’autre. Rien de plus. Lorsqu’il a fini, elle se dégage et se redresse. Elle a parlé tout du long, elle le sait. Elle parle encore. De quoi. Quelle importance. Lui, il est toujours couché sur la banquette. Il respire doucement. En la regardant. Elle a peur soudain. Ce regard. La fouille. L’extirpe de son intérieur douillet. La met à nu. Vraiment. Elle a peur. Elle recule. Sans se presser, il lui empoigne le bras. Le serre jusqu’à la douleur. La bouscule. Sa tête heurte la paroi métallique. Elle crie faiblement. Il est de nouveau en elle. Elle s’évanouit. Sa voix s’est tue.

***

Lorsqu’elle se réveille, lorsqu’elle ouvre les yeux, elle ne comprend pas. Elle ne voit rien. Que lui est-il arrivé. Elle se souvient. Elle est dans une voiture. Elle donne des coups de poing au hasard, à perdre haleine. Et puis elle se rend compte qu’elle ne parle plus. Quelque chose s’est fêlé en elle.

***

Elle parle depuis si longtemps. Des gens parlent en elles. Lui rongent le ventre. Parlent pour elle. Depuis si longtemps. Ils en disent, des choses. Elle ne sait jamais quoi. Les mots sortent. Trouvent leur chemin dans sa gorge, et sortent. Son corps s’est habitué à ce traitement. Docile, il dit les mots de ces démons. Ces mots dont elle ne se souvient jamais. Que personne ne semble entendre ou écouter. Quand elle demande, les gens lui disent non je n’ai rien entendu, je ne sais pas de quoi vous parlez, vous vous sentez bien. Alors elle a appris à ne pas évoquer ces mots. Ces démons. A tout cacher. Tout en parlant tout le temps. Jusqu’à ce soir. Cet homme. Cette voiture. Et maintenant. Elle ne parle plus. Quelque chose se passe en elle. Elle a mal au sexe. Aux bras. A la tête. Une onde lui traverse le corps. Une contraction. Douloureuse. Elle pousse. Elle gémit. Son corps s’ouvre en deux, dans un éclair de plaisir et d’effroi. Ventre et sexe déchirés. Les démons sortent de ses entrailles en ricanant. Ils la regardent. Ils grimpent dans les cheveux de l’homme. Ouvrent son crâne. Tout d’un coup, ils sont lui. Il est eux.

***

Il la regarde. Il lui parle. Longtemps. Il lui dit des mots qu’elles ne comprend pas. Qu’elle oublie au fur et à mesure. Mais elle sait qu’il lui parle. En la mordant. En la griffant. En la grignotant. Son regard est plusieurs. Ses mains hésitent entre mille actions. La lacèrent. Les démons veulent sa peau. Veulent revenir en elle. Elle doit obtempérer. Sinon ils la mangeront. Alors elle se laisse faire. L’homme la pénètre plus profondément. Et jouit.

***

Les démons sont revenus. A leur place. Elle parle. De nouveau. L’homme ne la regarde plus. Il se retire. Remonte son pantalon, et la pousse vers la portière de la voiture. Elle sort. Dans la nuit. Sur ce parking inconnu. La voiture est déjà loin. Elle parle.

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