par angèle casanova

anche / hanche, par Angèle Casanova (à partir d’une démonstration technique de Rose S.)

vendredi 6 novembre 2015

elle tourne lentement le roseau dans l’axe
sa main fait un va-et-vient rapide
entre le bout d’écorce et le bas du mandrin
où il est accroché

elle vérifie
que l’ensemble est bien droit

quand tout est prêt
elle prend un bout du fil à coudre qui pend
du pied de la coiffeuse
fait un nœud autour du roseau
tire sur l’appareil
tend le fil le plus possible
et tourne
longtemps

un fuseau arrondi se forme
à la jonction du roseau et du mandrin

quand la rainure est comblée
elle fait un nouveau nœud et coupe le fil

alors elle prend du vernis à ongle et enduit le fuseau
souffle un peu pour le faire sécher plus vite
et dépose l’ensemble
dans un verre à dents

l’anche est prête
peut-être jouera-t-elle
peut-être pas
nous le saurons bientôt
le hautbois l’attend

***

Je l’ai écoutée me donner ces explications techniques. Me parler de l’importance de ces gestes. Le son vient de l’anche. Sans elle, le hautbois est muet.
Elle parle, et des images confuses se dessinent en moi. Le h de hanche interdit l’élision que son absence dans le mot anche permet. C’est simple et pourtant source de trouble.
Lorsque j’utilise à mon tour le mot anche, je trébuche mentalement sur la liaison. Je sosote. L’anche devient l’anse. La hanche, la Hanse.
Je dis anche pour hanche, hanche pour anche. J’attache mes hanches avec du fil, je les maintiens au cordeau. Elles doivent rester dans l’axe de ce voleur de mandrin. La discipline est de mise en la matière. Le voleur est là, il fait la loi. Les hanches n’ont qu’à bien se tenir. Si ce n’est pas le cas, on les jettera à la poubelle. Alors on s’applique. On les attache. On les enduit. Le vernis est chaud sur le corps. Il colle au ventre. Les hanches ne sont plus qu’un bleu. Des escarres se forment sur leurs pointes. Le corps qui les porte souffre, mais tient bon. Le mandrin va dire ce qu’il en pense. Il faut attendre que le vernis sèche, que le plâtre opère, que le corset fasse son temps. Alors le corps sortira de sa gangue collante, et on verra bien s’il sonne juste.


Texte initialement publié sur Bakuraël, le blog de Mickaël Berdugo, dans le cadre des Vases communicants de novembre 2015.

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