par angèle casanova

Nathalie Granger, par Justine Neubach

vendredi 6 mars 2015




De cette enfant, pas une seule fois nous n’entendrons la voix ; de cette enfant aux cheveux sombres, à la démarche éteinte d’un bout à l’autre du jardin. C’est une enfant qui suit des chats, qui les attrape, qui les dépose dans sa poussette, mais les bêtes fuient. Toujours. Un chat, cela vous glisse entre les mains. Cela refuse. L’enfant, alors, a ce geste brutal, tandis que la poussette roule, de l’envoyer voler sur le côté, sans émotion ; puis de s’arrêter froidement, et l’instant d’après sans la ramasser, de quitter le cadre.


Dans ce film de Marguerite Duras, la fillette n’a pour toute parole que ses gammes de piano mal maîtrisées. C’est tout. « Si elle ne fait pas la musique, elle est perdue », répète sa mère.


L’enfant « ne fait pas la musique ». Elle la subit. Est-elle perdue ?


Tout au long du film, on ne peut s’empêcher de chercher cette enfant dont la trace est partout. Il y a autour de Nathalie, dans sa propre maison, une caméra qui erre. Mais la petite, lorsqu’elle n’est pas simplement absente, se tait, se recroqueville, joue en silence, de quelque façon que ce soit se retire du spectacle, et la caméra de chercher en vain à réduire la distance.


Le spectateur n’assiste qu’aux alentours de Nathalie : ce qui se dit d’elle, « cette violence chez une très petite fille », l’hébétude de sa mère, les préparatifs pour son départ en pension, tous ces miroirs dans sa maison, l’atmosphère morte de chaque pièce, les branches mortes dans le jardin et qu’il faut brûler, le poste de radio qui informe en direct de l’arrestation de deux jeunes malfaiteurs, la visite commerciale d’un homme perdu dont elle ne croisera le regard qu’une seule fois, les cours de piano laborieux, et finalement, la décision avant même son départ que Nathalie n’ira plus en pension.


De l’enfant, tout cela se sait, et pourtant rien dans cet agglomérat d’informations ne fait une personnalité. Il manque au spectateur et à la caméra rêveuse une connaissance de Nathalie par son intimité : sourire ou confidence, perte de contrôle, un geste quel qu’il soit qui nous la rende proche. Mais la coquille est inviolable. Nathalie reste insaisissable : son apparente impassibilité contraste avec le mythe de sa violence, sans cesse ressassé, autour duquel gravitent les personnages. Qui est Nathalie ? Pourquoi, dans la maison, Nathalie n’est-elle pas la Nathalie que l’on raconte, violente ?


« - A la maison, comment est-elle ?
- Malheureuse, inapprochable. »


Une inénarrable qui tient en échec le récit de sa propre histoire, pour n’y vouloir pas prendre part. Elle demeure en retrait, l’enfant, sans pouvoir disparaître.


Lecture de Justine Neubach

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