par angèle casanova

Belfort, le 20 septembre 2014

samedi 20 septembre 2014

Chère Grisélidis Réal,

Je vis avec vous depuis un mois. Je vous découvre. Livre après livre. Je plonge au cœur de votre vie, qui éclaire la mienne. D’une lumière inédite. Je picore vos lettres à dose homéopathique. Je ris. Je pleure. Je m’indigne avec vous. Je souffre aussi.

La nuit est en train de tomber. Il est un peu plus de 19h. Et l’envie irrépressible de vous écrire, unilatéralement, m’a saisie. Là. Assise sur mon canapé. Quand mon petit garçon, en passant, l’air de rien, a donné un bisou humide à la couverture de votre recueil, Les Sphinx. Le récit de votre lutte sans merci contre le cancer. Une lutte qui me touche. Puisque je n’ai pas su ce que ressentait mon père. Alors qu’il perdait la tête. Lui. Le terrien. Le bricoleur habile. L’ouvrier abreuvé de télévision. Qui ne lisait jamais. Qu’avait-il à l’esprit. Au moment-même où il le perdait. Quand s’est-il rendu compte qu’il le perdait. Je l’ignore. Je sais exactement. Pourtant. Quand il a compris qu’il allait mourir. Puisqu’il l’a appris de ma bouche. Que ce sont mes mots. Qui l’ont assommé. Chère Grisélidis, le cancer est parti de la peau de votre ventre. Vous avez résisté héroïquement à l’envie de vous assommer de médicaments anti-douleur. Vous l’avez vécu, votre cancer. Dans toute son ampleur. Dans votre chair lucide. Alors, avec vous, je découvre ce continent caché. Cette souffrance. Inouïe. Qui fait devenir votre corps autre.

Je vous lis en buvant un petit kir en l’honneur de vous. De votre prédilection pour le rouge. De la malédiction que c’était quand vous étiez prostituée et que les cystites vous laissaient pantelantes de douleur sous les coups de butoir des bites sans vergogne. Je bois à petites gorgées en pensant à vous. A ce que vous êtes en train de devenir pour moi. Qui suis née à l’écriture après votre mort. Qui suis née à l’écriture après la mort de ma mère.

Alors un projet se dessine dans mon esprit ému. Par vous. Dont j’ai découvert la voix un peu nasillarde, les yeux profonds comme des puits, la beauté sauvage, dans des vidéos d’entretiens. J’ai envie de vous écrire. De vous aimer. Comme vous avez su aimer vos correspondants. Leur dire vos secrets les plus intimes. Leur parler de votre métier. Sans rien en cacher. Entomologiste de vous-même, vous me touchez. Indiciblement. Aussi, par-delà la mort, je décide. De vous écrire. A corps perdu. A mots perdus.

Je vous embrasse, amitiés.

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