par angèle casanova

Sur la place Pie, il y a les Halles, par Brigitte Célérier

vendredi 7 décembre 2012



Sur la place Pie, il y a les Halles....
car Perrinet Parpaille, rude réformé, fut pris à Bourg-Saint-Andréol en l’an 1561 et condamné à mort, sa grosse maison près de Saint Jean-le-Vieux pillée et rasée, car on mit sur son vide une colonnade, trois rangées de piliers en attente de toiture (longue, longue fut l’attente) et y vinrent les maraîchers vendre leurs légumes après qu’en 1563 Laurent Lenzi, vice-légat, ait béni l’endroit - et l’on mit dans les fondations médailles et pièces d’or et d’argent aux armes des puissants, de la ville, du général des armes Fabrice Serbelloni, du vice-légat Lenzi, du légat Farnèse et du pape Pie.-... Années vinrent, et parties de toiture, la place s’agrandit, fut la première et principale en la ville, fut place d’armes – et avec la colonnade furent aménagés chapelle et corps de garde, et passe le temps..
Mais à Toulon le Cours Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu’à la mer...

Fin novembre, sur les trois étals maraîchers des halles de ma ville, ne sont plus que tomates de serre, courgettes, mais dernières, sont salades et mâche pour verdir l’hiver, sont les côtes blanches, fortes et courbes des cardes, sont, doux vert pâle, les longs coeurs tendus des chayottes, avec leurs côtes faussement régulières, sont navets, encore, ronds, légèrement rosés, ou en longs cônes à côté de ceux, barbus, des panais et des longues carottes, sont les grosses tranches oranges des potirons, les petites torsades des crosnes, les bouquets d’artichauts, viennent les brocolis, s’installent les choux, sont encore les derniers champignons, l’opulence des cèpes aux pieds terreux, les tourbillons roux des girolles, les entonnoirs bruns des lactaires, les pleurotes qui semblent s’évanouir sous les yeux, les bruns et les beiges des chanterelles, non pas les truffes qui sont trop onéreuses mais la blancheur gourmande des champignons de Paris, sont...

Sur la place Pie, il y a les Halles...
car Jean-Baptiste Franque, après avoir percé une rue vers la place, après avoir construit la boucherie, la poissonnerie, la triperie de la rue Aquaviva que l’on dit du Vieux-Sextier, eut l’idée d’une halle de pierre sous greniers d’abondance, car son fils construisit pour cela une belle bâtisse avec des arcs sur la place du marché, car le sextier y fut transporté et une nouvelle chapelle aménagée, car le temps passa....
Mais à Toulon le Cour Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu’à la mer...

novembre, aux halles de ma ville, on trouve belles grappes de raisin teintées d’or, des pommes golden bien banales et sobrement délicieuses, de lourdes grises du Canada, des figues si mures que presque éclatées, et les premières caissettes de figues sèches, des clémentines grenues pour réchauffer le regard, des poires allongées ou rondes et roses comme joues, les premiers kakis ces boules de succulente chaleur et des grenades d’un rose doré sur grains sanguins, et pour annoncer le Noël les noix, les noisettes, les sacs de mendiants.., et règnent les oranges.
En tout temps, aux halles, sont aussi les traiteurs avec cuisines recherchées mais aussi les caillettes, les pâtes, etc... et bien entendu les bouchers mais ça ne me concerne pas et je passe vite sauf si, par extraordinaire, veux faire une daube, pour être d’ici.

Sur la place Pie, il y a les Halles....
car l’hôtel de Joannis de Nochères fut détruit, et maisons autour, car le moderne 19ème siècle, celui qui fit les rues droites et les places de la ville, agrandit la place sur la commanderie de Saint-Jean-le-Vieux, ouvrit la rue Thiers et construisit à la place des hôtels, de cafés, et de la place du Père Eternel, une grande halle centrale, en fer, briques et pierres, sur belles caves étanches, comme un petit écho des halles de Paris, car furent vivantes, coeur de la ville et des entours, car le temps s’installa et puis passa...
Mais à Toulon le Cour Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu’à la mer.....

Fin novembre, aux halles de ma ville, le marchand de pommes de terre a de nouveau des bintjes qui sont les plus terreuses, abîmées, humbles, mes préférées, et à défaut des sambas, mais plus de béas de la région, des vitelottes pour amusement des yeux mais que n’aime pas, des rattes de Privat, les dernières Noirmoutiers, et puis bien entendu la peau fine et presque blanche des charlottes, des oignons de paille et jaunes des Cévennes, blanc de Paris, rouges, plus guère d’échalotes grises et encore moins de roses, mais on trouve les têtes ou chapelets d’ail rose du Var ou de Lautrec, de la Drôme voisine, à côté du cerfeuil tubéreux et des roses sales des patates douces.
En novembre, aux halles de ma ville, mon marchand d’olives n’a plus de bidon d’huile et attend la nouvelle récolte, mais les pavés de morue sont épais, noirs et blancs, sous couche épaisse de sel, les filets sont une symphonie jaunâtre... les bidons d’anchois, les tapenades, les tomates sèches, les bacs d’olives cassées au fenouil, de Nyons, de Luques, farcies, à l’ancienne, kalamatas, au herbes, petites, toutes les variétés ravissent les touristes et je dois attendre pendant que les garçons font les beaux et servent des petits cornets pleins de ce que demandent des doigts faute de mots

Sur la place Pie, il y a les Halles...
car furent détruites en 1972 les belles halles centrales, car fut construit un gros pavé rectangulaire, avec, sur les halles, des étages de voitures, car ce sont les halles où je vais, car les grandes surfaces et les marchés hors rempart ont tué les commerces dans la ville, car les halles sont là, pour nous, pour les touristes, pour servir de vitrine aux agriculteurs de la région,
Mais à Toulon le Cour Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu’à la mer...

Fin novembre, dans les allées des halles de ma ville, je file le long des morues vers le poissonnier, les coquillages, les coquilles Saint Jacques, les grosses gambas - mais n’y a plus de chevrettes - les longues lanières épaisses d’un blanc verni découpées dans les encornets, le tas d’un brun si doux des poulpes visqueux, les fusées des calamars, parfois le luxe de la piste, et puis les sardines, les grosses et celles qui viennent de notre mer, les solettes, les soles, les cabillauds à découper, les splendides rectangles blancs des dos de cabillaud, les vives, les petites rascasses et poissons de roche pour la soupe ou la bouillabaisse, les rougets de toutes tailles, du rose presque bleu des petits pour la friture au rose chaud des plus gros, les loups, les daurades royales - ce n’est plus le temps des autres - les sars, les tranches de thon rouge que l’on achète avec un remords furtif, et celles d’espadon avec le dessin des fibres sur rose blanc, les jaunes filets de lieu, et puis les maquereaux, les lisettes, les bonites parfois, leurs formes vives et leur goût, et tous les poissons qui font habillé.

Sur la place Pie, il y a les Halles...
car il y a quelques années ce cube mort a été orné, sur la place, d’une nature qui se nie, d’un beau, très cher, très exigeant, mur planté, car je le réprouve un peu, mais je me réjouis en le regardant, quand au printemps le vent joue dans les tiges et qu’une verte mer verticale se met à danser, car je le vois se flétrir avant l’automne, se garnir, parfois, de longs stalactites de glace au coeur de l’hiver
Mais à Toulon le Cour Lafayette descend longuement sous le ciel jusqu’à la mer...

Fin novembre, au centre des halles de ma ville, trône l’étal de mon fromager, et, comme les autres, il présente encore de tout et des chèvres mais ce n’est plus le grand temps des banons, va finir la bonne époque des pélardons - puisque chèvres ne pâturent plus, en principe, pourtant j’ai trouvé l’autre jour un pélardon pâmé en sa crème qui était saveur extrême - et des lingots de brebis tout de maturité, mais, bon, nous en sommes toujours au règne des Pont-Lévèque, des Coulommiers, fermiers of course, et de leurs parents les deux bries, des Langres ridés avec leur crâne enfoncé, des Munsters, et c’est la grande époque de l’Espoisses et celle du Vacherin du Mont-d’Or bordé de sombre, des boulettes d’Avesnes et du Maroille – mais pas encore du Camembert et du roi Livarot, bien sûr des fromages lents, des tommes de vache, de brebis, de chèvre, des Pyrénées, d’Ardèche, d’Aubrac ou de Lozère, des provinces plus septentrionales, et des presque introuvables tommes de Camargue ou de Combovin – ne pas oublier le Saint-Nectaire – de la souplesse des Reblochons au goût de noisette délicate, et, bien entendu du Gaperon mon très aimé, et des persillés, du Roquefort, de la fourme d’Ambert grassement terne, des bleus de toutes provenances... et il y a les italiens (pour ce qui est du Gruyère, de l’Edam... ne les aime en aucune saison)

Sur la place Pie, il y a les Halles, et je suis dans leur temps présent...
mais pour trouver le marché, mon gros marché de Provence, j’ai descendu, dans le reste de gouaille, d’accent plus solide, de nourritures plus brutes, drettes, le Cours Lafayette – l’est à Toulon, ô étrangers – jusqu’à la mer, ou au port, et pour qu’il soit un peu là, le cours, les photos en proviennent, sauf bien entendu celles du mur planté.
Sont parents les halles et le cours, même si à Toulon les marchands viennent maintenant plus souvent de l’autre côté de la mer, et sont donc un peu plus réservés que dans mon souvenir, et que ne le sont les vedettes des halles, même si le ciel remplace les tubes de lumière, même si, là, les étals partent et reviennent, réguliers comme les heures, même si on y trouve, aussi, des savons, des vêtements, des fleurs....

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