par angèle casanova

mon corps m’échappe, par Angèle Casanova

jeudi 2 août 2012

La chaleur insupportable, l’atmosphère poussiéreuse et puante du RER. La peau souillée, les mains glissantes, les cheveux collés aux tempes. Les corps qui s’entrechoquent à chaque arrêt, moiteur contre moiteur, odeur contre odeur.

Mon corps m’échappe. Et n’en finit pas d’avoir chaud.

Le soleil vertical de la rue à la sortie de la gare. En nage. Le souffle court. Je cherche l’ombre, le long des magasins. Elle diminue, diminue, disparaît. Alors j’avance, regarde loin devant.

Mon corps m’échappe. Et n’en finit pas d’avoir chaud.

Je suis assise sous le poirier vénérable qui tente d’étendre ses dernières ramures au fond de mon jardin. Un bol de thé à portée de main, la tête penchée en arrière, je tiens mon livre du bout des doigts, délicatement. A la lisière inférieure de mon champ de vision, les lignes d’écriture frémissent, se gondolent, dansent, deviennent folles. Mes yeux se perdent dans le vague, hypnotisés par le chatoiement du feuillage qui oscille au gré d’une brise à peine esquissée. Mes doigts collent, laissent des traces humides sur la couverture du livre.

Mon corps m’échappe. Et n’en finit pas d’avoir chaud.

Cette chaleur ne vient pas de l’extérieur. Elle vient de moi. Elle sourd par tous les pores de ma peau brûlante. Pourtant, loin en profondeur, je frissonne. Et de ce coin glacé de mon être que je serais bien incapable de situer, rayonne, par ondes successives, cette chaleur, cette énergie exténuante qui me laisse là, incapable de bouger, les yeux en l’air, agrippée à ce livre.

Mon corps m’échappe. Et n’en finit pas d’avoir chaud.

Alors je bois mon thé, à petites gorgées brûlantes.
Je monte à l’étage, sort une robe légère de mon armoire, la pose sur mon lit, et vais prendre une douche.


Texte initialement publié sur A l’aine des possibles : polymorphies du quotidien, le blog de Euonimus Blue

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