par angèle casanova

cadum

dimanche 22 juin 2014


Je crochète l’emballage rectangulaire
boursouflé aux extrémités
rose
il craque en se décollant
proprement
sans se déchirer
je l’ouvre
comme un paquet cadeau
le savon apparaît
il sent bon
je l’attrape
le pose sur le porte-savon
délicatement
je touche
du bout des doigts
le visage
gravé
en creux
sur sa face concave
à peine esquissé
les yeux profonds
le sourire épanoui
évocation oscillant
étrangement
entre
attendrissement
souvenirs d’enfance
effroi diffus
face au vide
suggéré
par les traits du visage
en creux

J’ouvre le robinet d’eau froide
prends le savon
le fait mousser entre mes mains jointes
le repose
je frotte mes mains
l’une contre l’autre
les rince
les essuie
et m’éclipse

(bis)
(bis)
(bis)

La journée s’étire au gré de mes allées et venues dans la salle de bain. De temps en temps, je viens, et je me lave les mains.
A un moment, je regarde le savon. Le visage s’est estompé. Au grès des manipulations de mes mains, les yeux et une partie de la chevelure s’effacent par endroits. Sans régularité. Le visage est en train de disparaître. Il n’en devient que plus inquiétant. Un symptôme qui me titille. Me fait m’arrêter. Là. Un moment. A observer. Ce phénomène étrange. La disparition d’un regard. Vide de surcroît. La disparition d’un vide pour un vide encore plus profond. Où le néant se fait jour. S’affirme. Un visage d’enfant. S’efface. Là. Sous mes yeux. Il n’a jamais existé. Jamais il n’a surgi du néant. Jamais il n’y est retourné. Jamais rien n’a existé là. Mes yeux ont tout inventé. Pour aider cette contre-vérité, je frotte le savon entre mes mains jointes. Fort. Longtemps. De temps en temps, je les ouvre en coupe, je regarde. Le visage est encore là. Un peu. Je recommence. Je frotte. Jusqu’à. Disparition. Alors. Je couine de satisfaction. Hoche la tête. Et repose le savon à sa place dans le porte-savon en forme de poisson, qui épouse sa forme concave. Humide, luisant, il est désormais lisse comme une peau de bébé. L’enfant a disparu.

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